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26/10/2011

A propos de "La Voie de l'épée"

Russkaya Fantastika: Vous faites référence, tout au long du récit, à de grands textes épiques du monde entier (le Kalevipoeg, les récits sur Gesser Khan, ceux sur Niourgoun Boôtour le Yakoute, le Mahabharata, pour ne prendre que quelques exemples). En dehors du fait que cela trahit une grande culture, est-ce que cette littérature épique constitue pour vous une véritable passion?

Henry Lion Oldie: Depuis notre jeune âge, nous nous passionnons pour la poésie épique de différents peuples. Durant des années, nous avons assemblé chez nous une collection importante de livres. Ce sont des dizaines de volumes comprenant entre autres le Mahabharata indien, le Gouroulitadjik, des sagas scandinaves et islandaises, le Shah-nameh de Firdousi, le Kalevala, la Bibliothèque d'Apollodore, le Chant des Nibelungen, le Gesserbouriate, le kazakh Manas; les légendes du Japon, de Chine, de Géorgie, d'Afrique... En effet, la poésie épique, en dehors de donner des notions sur un peuple, pose carrément un ensemble de questions biens intéressantes – historiques, philosophiques, sociales, religieuses, sacrales, métaphysiques.

A l'époque, nous avons écris un roman épique, L'oppresseur bleu-sombre des créatures, Черный Баламут (traduction exacte du nom sanscrit de Krishna Janardana) dont la base était la grandiose poésie épique qu'est le Mahabharata. En utilisant ce texte de l'Inde ancienne nous avons soulevé une série de problèmes actuels, et à notre avis épineux, sur ce qui est tout naturel: la ruine des empires, les degrés de liberté dans une société structurée, les relations entre l'Amour, la Loi et l'Intérêt... Nous avons aussi écrit un Cycle achéen qui comprend les romans Il ne doit exister qu'un seul héros (Герой должен быть один) et Ulysse, fils de Laërte (Одиссей, сын Лаэрта) qui embrassent la réalité de la Grèce ancienne depuis la naissance d'Héracles jusqu'au retour d'Ulysse dans son foyer.

Il y a aussi dans d'autres de nos livres des passages avec des allusions épiques.

 

RF: Le motif de la main coupée remplacée par une prothèse métallique, et celui des armes dotées d'âme se retrouve chez les Celtes, en Irlande ancienne. Pourtant, ce sont deux motifs qui ont aussi été employés par un autre grand auteur de Fantasy, Michael Moorcock. Laquelle de ces deux sources est à l'origine de La Voie de l'épée?

HLO: En effet, le motif des armes qui sont douées de volonté et de raison s'observe dans les légendes de plusieurs peuples: non seulement chez les Celtes et les Irlandais mentionnés par vous mais aussi chez les Arabes, les Japonais, les Germains... Depuis des siècles, il était d'usage de donner des noms propres aux épées remarquables et on traitait vraiment ces armes comme des êtres humains.

En effet, ce paradoxe – l'animation et l'esthétisme des armes, malgré leur prédestination à verser le sang – nous a amenés à l'idée d'une utopie féodale, d'un monde où toutes les armes sont animées et douées de raison. De plus, ces armes considéreraient les gens comme leurs suppléments déraisonnables. Cela ne serait pas une « dérogation » mais une civilisation entière d'armes blanches qui n'accepterait pas de violence.

Cela nous a permit de parler avec le lecteur de l'agression comme partie intégrante de la mentalité de l'homme, et des moyens de son élimination ou de son domptage; ou encore de sa transformation en force créatrice, en art. C'est en effet notamment de cela que s'occupent tous les véritables arts de combat – auxquels, à propos, nous avons consacré trente années de notre vie, et dont nous continuons de nous occuper encore maintenant. Nous voulions écrire un livre sur le métier et l'art, sur le conflit des cultures et les valeurs de la vie...

Mais sur le sujet de la main artificielle « vivante », nous étions plutôt influencés par le récit de Jean Ray, La Main de Goetz von Berlichingen, qui nous avions lu durant notre jeunesse précoce dans un des recueils de l'imaginaire. Il y avait un tel chevalier avec une main de fer animée...

 

RF: Le monde de Kabir, est-ce un monde parallèle au notre, ou bien une métaphore du notre?

HLO: Il s'agit plutôt de notre monde avec une histoire et une géographie alternatives. Regardez la carte de l'Europe et l'Asie réelles, « rétrécissez »-la une fois à une et demi, focalisez autour d'un centre se trouvant approximativement sur le territoire de l'Iran. Et maintenant repartez en arrière de quelques siècles. Modifiez une série de noms géographiques, échangez-les contre d'autres (mais apparenté du point de vue étymologique et linguistique. Ajoutez un élément fantastique : l'existence parallèle de deux civilisations – celle des gens et celle des armes blanches raisonnables. Finalement vous obtiendrez le monde de Kabir. Kabir elle-même est Khoresm; Meilan est la Chine et Shoulma, la Mongolie. Et cetera.

 

RF: Le polémiste chrétien du 5e siècle Salvien (Salvianus) disait que les Barbares étaient un bienfait pour l'Empire romain, trop sûr de lui-même et surtout aux moeurs trop perverties. Il écrivait même: « les méchants croient voir un bien dans le mal qu'ils font ». Est-ce ce genre de pensée qui vous a animés dans l'élaboration des rapports entre Shoulma la sauvage et Kabir la civilisée?

HLO: L'idée est proche, mais dans notre livre l'affaire ne se passe pas tout à fait ainsi. En effet, ça n'est pas Shoulma la sauvage qui est venu à Kabir la civilisée. Si se vous vous rappelez, une certaine femme est venue à Shoulma de Kabir. Elle et son épée ont réussi à outrepasser en eux-même l'interdiction de tuer vieille de plusieurs siècles. Au final, en surpassant les Shoulmouces en affaires militaires et n'étant pas lié par l'interdiction de tuer, cette paire fut mise à la tête des hordes nomades, jusqu'à aller les conduire à la conquête de Kabir. Ce ne sont pas ces barbares-nomades qui ont attaqué Kabir. Ils y étaient poussés par des personnes originaires de Kabir. Avec pour but de ranimer à Kabir le savoir-faire oublié de l'usage primordial des armes - c'est-à-dire tuer. Ainsi, on a voulu, par la force, « combler » Kabir « de bienfaits ». Naturellement, rien de bon n'est sorti de cela. Au total les habitants de Kabir ont appris à tuer, en effet, mais cela a mis fin à l'utopie féodale. A la fin du roman, l'équilibre du monde est détruit par la poudre et l'arme à feu – créés là encore à Kabir. Qui est venu à qui est une encore grande question. Il nous arrive souvent, à nous-mêmes, de poser une mine sous nos murs personnels.

 

RF: A partir de quel moment peut-on considérer qu’une action est violente ou bien très dure ?

HLO: Il y a un proverbe, semble-t-il français qui dit : « Ma liberté d'agiter les poings s'achève auprès du bout de votre nez ». C'est littéralement la réponse à votre question. Quand elles sont issues d'une volonté agressive seulement extérieurement les actions n'apportent à quelqu'un aucun dommage réel – physique, psychique, patrimonial, social. Mais dès que cette limite est franchie commence la violence. Au final, la partie éprouvée reçoit un droit moral et juridique à la résistance. Cela se rapporte aux gens distincts, aussi aux États tout entiers. Mais d'autre part, il s'agit-là d'une spirale sans fin, et l'humanité balance tout le temps à la frontière de l'accident. La cruauté sans violence est impossible. Peut-être, la cruauté est-elle une forme intrinsèque de la violence. Ca n'est pas pour rien si dans la langue russe ce mot a la même racine que le mot « rigidité ».

 

RF: Quelle est votre opinion sur la peine de mort? De même, est-ce qu’une menace de guerre peut apporter un bienfait?

HLO: Quand nous regardons à la télé le passage en justice d'un maniaque, d'un assassin en série qui a ôté la vie à plusieurs personnes - parfois on peut regretter que la peine de mort ait été supprimée chez nous et dans plusieurs autres pays. Mais nous comprenons que c'est là une réaction purement émotionnelle. En effet, il y a des erreurs judiciaires. S'il se révèle au final que la personne était innocente, si elle a été condamnée à une peine de longue durée ou à la réclusion à perpétuité, on peut la remettre en liberté et restaurer la justice. Mais si elle est mise à mort, tu ne pourras plus la ramener à la vie. C'est pourquoi, en général, nous trouvons que la suppression de la peine de mort est une décision juste. La réclusion à vie, sans droit de la révision de l'arrêt, est une punition assez sévère pour les monstres.

Au sujet du profit qu'on peut tirer d'une menace de guerre... De cette menace le profit peut arriver. De la guerre elle-même, c'est peu probable. Oui, dans quelque situation concrète locale, la compréhension de ce que la partie adverse peut entamer des hostilités à grande échelle, est un facteur de modération. Mais dans l'ensemble, à l'échelle mondiale et historique, la menace de guerre, à notre avis, influence négativement les relations entre les pays, la confiance entre les gens, le climat psychologique global sur la planète. On tire beaucoup plus de dommages d'une menace de la guerre que de profit.


Propos recueillis par Russkaya Fantastika en décembre 2008

Nous sommes le théâtre

« Etre présent dans ses livres »


Mir Fantastiki - Bonjour Dmitri et Oleg. En cette époque de prédominance de la lecture facile, vous écrivez des oeuvres dont la compréhension n'est pas aisée. A quoi cela est-il lié?

Henry Lion Oldie - Nous écrivons les livres que nous voudrions lire nous-mêmes et, soit dit sans offenser personne, en nous choisissant nous-même comme repère. Il en résulte un rythme, une structure, une problématique, un système d'images: cela nous plait, nous pensons et sentons ainsi. Nous sommes très contents qu'il se trouve que beaucoup de gens pensent et sentent de la même manière. Il faut respecter le lecteur – il le mérite. Il faut le réjouir à l'aide d'une polyphonie sans lui refiler « une chanson de malfaiteurs » en lieu et place d'une symphonie.

MF - Presque tous vos romans, récits, nouvelles sont pleins d'idées, de philosophie...

HLO – Raconter simplement une histoire ne nous intéresse pas. Une histoire est un moyen de dire quelque chose de plus, ce qui tourmente et ne trouve pas d'autre issue. Entre les lignes, sous le texte et au-dessus de lui, il doit exister quelque chose qui représente la cause de la création d'une oeuvre. Ce que vous nommez « philosophie » est la position de l'auteur, ses réflexions, sa manière de voir le monde, ses propres déductions. S'il n'y a pas de tout cela, l'auteur est alors absent de son livre. C'est un fast-food à la sauvette.
Quant à nous, nous voulons être présents dans nos livres: saluer le lecteur, discuter avec lui, partager son opinion, échanger des idées et des sentiments. Il ne faut parler à haute voix, en public que quand il y a quelque chose à dire et quand il y a quelqu'un qui veut écouter, sinon il vaut mieux de garder le silence. C'est cela, notre philosophie – littéralement « amour de la sagesse ».

MF - Un autre caractère distinctif de vos livres est l'abondance de la poésie. Cependant, dans certains milieux, les épigraphes et les interpolations en vers sont considérées comme une béquille littéraire. Vous ne partagez probablement pas cette opinion?

HLO - Une béquille? Vous appelez ça une béquille. Mais avec ce genre du support on peut courir beaucoup plus vite et plus loin que n'importe quel snob des « milieux littéraires » mentionnés. La poésie est une manière particulière de voir le monde: concentration maximale des images, ressort du rythme, mélodie du coeur. Nous ne remarquons pas quand nous passons de la prose à la poésie. La poésie est la plus inutile chose au monde à en juger du point de vue de l'esprit utilitaire quotidien, et c'est pourquoi c'est la plus grandiose.

MF - Vos livres intriguent déjà par leurs titres. Qu'est-ce qui apparaît en premier: le titre ou l'oeuvre lui-même?

HLO - Ça dépend. Parfois, un titre apparaît dès le début du travail, mais parfois, à la fin même. Nous n'avons pas un seul stéréotype. Bien que nous cherchons pendant longtemps avant de comprendre: le titre de ce livre doit être comme ça et pas autrement. En tout cas, nous n'avons jamais été d'accord pour changer les titres de nos livre sous la pression des éditeurs ou des collègues.

MF - Dans vos livres vous soulevez souvent un sujet qu'on peut caractériser comme « la magie quitte le monde » (Tirmen; Mag v zakone - Le magicien légal; Bogadelnia – Asile; Tcherny balamout – Le trublion noir). Pourquoi ce phénomène est-il si intéressant pour vous?

HLO - Il ne s'agit pas de la magie. C'est la création, la source créatrice qui s'en va, laissant la place à la communication mécanique de l'information (Mag v zakone). La mort, en tant que revers imprescriptible de la vie, disparaît, et la vie quotidienne se retrouve déséquilibrée d'une manière capitale et assez dangereuse (Tirmen). La structure habituelle du monde, le système de lois qui font la réalité s'en vont et le nouveau monde avec de nouvelles lois ne devra pas obligatoirement plaire  à ses habitants (Tcherny balamout). Une structure bien logique en apparence, crée sur un fondement si discutable comme « une larme d'un enfant » (Bogadelnia) s'écroule. Etc.
Nous écrivons presque toujours sur « l'époque de changements » parce que le caractère statique n'inspire pas. Et le vrai visage des héros se révèle lors des changements, d'un conflit précis, c'est comme un papier de tournesol. Le mot « magie » n'est pas tout à fait bien placé – âme, source créatrice, étincelle... Si l'âme quitte le corps mais que le corps continue à vivre – à quoi sert ce vampire?

MF - Est-ce qu'il est possible d'après vous, qu'un jour, l'avenir décrit par vous dans le space opera Oekoumène devienne réalité?

HLO - Pourquoi pensez-vous que c'est l'avenir qui a été décris dans « Oekoumène » (il n'y a pas de version française de ce livre, NdT)? Il n'y a rien de tel. Toute cette oeuvre s'est bâtie sur notre notion de l'« Univers alternatif ». Déjà, à l'époque où nous écrivions le cycle d'Achaïe, nous avons mis en usage pour nous les notions de Nomos et de Cosmos. Le Nomos est un monde habité, une civilisation; parfois un monde privé ou une patrie. Le Nomos des Grecs anciens, leur  Oekoumène se présente ainsi: à l'ouest se trouve l'Océan, au Sud, l'Ethiopie, au Nord, les Hyperboréens. La Chine est totalement absente du Nomos d'un Grec! La Chine ne faisait pas partie de son « monde ». Il ne peut même pas être question de l'Amérique. Dans le Nomos de l'Egypte ancienne, il n'y avait pas d'Antarctique. Dans le Nomos des Chinois il n'y avait pas d'Irlande! Alors, nous avons eu une idée: que pourrait-il arriver si les Nomos ne se réunissaient pas en notre monde mais au contraire, se dissipaient dans tous les sens en formant des planètes/mondes différents. C'est ainsi que le cosmos de l'Oekoumène est apparu. Nous sommes étonnés des critiques qui disent que c'est l'avenir de l'humanité... De quelle humanité?  La Terre n'y est pas prévue. Cela a été écrit clair et net dans tout le roman : « Aucune Terre n'a jamais existé. C'est un mythe! ». La Terre n'est mentionnée que comme le berceau mythique possible de toutes les nations.
Autre chose: il n'y a qu'une partie des idées évolutionnistes, par exemple celles que nous avons énoncées dans
Oekoumène,  qui peuvent se réaliser un jour: l'énergétique biologique, l'humanité sous forme d'ondes – c'est possible et même désirable.

MF - Vous écrivez souvent sur l'évolution de l'homme vers une nouvelle qualité. Pensez-vous qu'à force de développement et de perfectionnement des technologies informatiques cette transition s'est rapprochée?

HLO - On parle déjà d'un ordinateur qui aura pour une base un code génétique humain. Dans ce cas-là, le système biologique qui s'appelle « gens » peut changer à un point qu'on ne peut même pas imaginer. On a déjà parlé tout à l'heure de la variante de l'évolution de l'humanité sous forme d'ondes, qui prévoit le renoncement aux corps albumineux...
Mais même si le corps obtient le préfixe « super », que faire avec la mentalité? Avec l'âme? Ici l'ordinateur ne pourra pas aider. Et cela fait peur d'imaginer un « super-homme » qui pense par catégories schémas: bouffer, s'accoupler, régner sur ceux qui sont plus faibles, s'emparer du pouvoir... Dans ce cas-là, le « super-homme » se transforme automatiquement en un monstre. C'est cette question qui nous trouble toujours: comment rester un homme alors qu'on te met une bombe atomique dans chaque main, qu'on t'insère une aile à réaction dans les lombaires et des viseurs laser à la place des yeux?

« L'éternel est bien semblable dans tous les siècles »

MF - Qui, d'après vous, est le meilleur écrivain de romans d'anticipation? Pourquoi?

HLO - Nous, cela va sans dire. C'est comme ça. Et est-ce qu'il y a une autre réponse à une question pareille?

MF - Comment considérez-vous le fantastique actuel?

HLO - Comme n'importe quel courant, il se divise en deux-trois sous-genres principaux. Un grand pivot de la littérature de masse qui satisfait la demande et remplit les espérances: si on veut des elfes – il y aura des elfes, si on veut un vaisseau spatial – il y aura un vaisseau spatial, si on veut une aiguille dans l'oeuf de Kochtchei - il y aura une grande aiguille dure (Allusion à Kochtcheï l'Immortel, personnage maléfique des contes populaires russes, dont l'âme se trouve à l'extérieur de son corps, souvent dans un oeuf - NdT). Par dessus ça, deux affluents: l'avant-garde marginale – provocante, épatante, parfois irritante comme toute forge où l'on fabrique les procédés de l'avenir; et la tradition littéraire au meilleur sens du mot, où le fantastique sert tout d'abord de méthode, de moyen de vision originale du monde faisant ressortir la problématique du texte, cassant les stéréotypes des lecteurs et des auteurs.
C'est comme dans un conte: un tsar avait trois fils...

MF - Comment considérez-vous les tentatives de certains écrivains d'achever des livres des grands maîtres? Par exemple, le Cycle des Princes d'Ambre de Roger Zelazny « prolongé » par deux trilogies de prélude écrites par John Gregory Betancourt.

HLO - Malheureusement, nous connaissons pas de cas où ce genre d'achèvement ou de suite (préquelle, séquelle, etc.) s'est approché même un petit peu du niveau d'un texte initial. On comprend bien le désir de finir un roman inachevé d'un maître. On comprend aussi le désir de prendre part au monde littéraire d'un grand prédécesseur. Mais les résultats déçoivent.

MF - Et des oeuvres d'amateurs « inspirées par »? Comment prenez-vous les « fanfics » et les parodies de vos livres?

HLO - Si c'est drôle - on rit. Si un texte est bien écris, on sort la personne qui l'a écrit de la catégorie de « fanfics » et on l'applaudit. S'il n'y a que des coups d'épingles et des révérences à notre adresse – on hausse les épaules.
En général, tout commence par des parodies et des pastiches. Nous ne sommes pas une exception. Mais tôt ou tard, l'enfant n'est plus au berceau. C'est bien si la passion pour les « fanfics » reste un hobby agréable, mais il voudrait que ça soit un terrain de départ pour quelque chose plus grand et plus indépendant.

MF - L'apparition d'Internet est-elle un fait positif ou négatif pour votre oeuvre?

HLO - C'est un fait positif du fait que c'est un nouvel instrument utile: il est plus facile de communiquer avec un éditeur, d'obtenir l'esquisse d'une couverture de la part d'un dessinateur et proposer des modifications. On peut aussi trouver rapidement une information nécessaire pour le travail lorsqu'on n'a pas d'ouvrage de référence sous le coude.
Autre chose: il faut être fort et avoir des nerfs solides pour subir l'effervescence régulière des forums et des boîtes e-mail: « Il est au bout du rouleau! Il ne fait que du gâchis! C'est de la bibine... ». Faut-il donner raison  au lecteur ou pas? Mais la plupart des propos se caractérisent par l'absence de tact (et d'orthographe aussi), et l'écrivain a une nature fine, créatrice: son coeur fait souvent les siennes. Et voilà donc, on se rappelle, en prenant un petit verre de valocardine (un vaso-dilatateur, NdT) la phrase suivante: « Reçois avec la même indifférence l'éloge et la calomnie... » (phrase du poème de Pouchkine,
Monument, NdT). Vous connaissez la suite...

MF - Comment en Ukraine prend-on ce fait que vous écrivez en russe? Est-ce que vous avez essayé d'écrire en ukrainien?

HLO - On le prend normalement. On lit nos livres et en demande encore. Les marginaux-nationalistes ne comptent pas. On édite souvent nos livres en ukrainien: sept livres ont déjà parus et on en prépare encore. Nous révisons les traductions nous-mêmes, nous connaissons bien l'ukrainien, nous sommes bilingues tous les deux. Pour les éditions en ukrainien, Oleg Ladyjenski traduit souvent ses vers lui-même, pour éviter tout problème.

MF - Est-ce que la création d'oeuvres littéraires doit être une profession ou faut-il gagner de l'argent par un autre moyen?

HLO – C'est à chacun de décider lui-même. Le mot « doit » est inadmissible. La littérature ne doit rien à personne, même à ses créateurs. Dans les années 1990, malgré que pendant six ans aucun de nos livres ne soit paru, nous avons décidé de faire de la création d'oeuvres littéraires notre profession. A l'époque, nous n'avions pas d'argent mais d'un 'autre côté, si nous travaillions quelque part en dehors de la littérature, nous ne pouvions pas trouver assez de temps pour travailler à nos livres. En définitive, cela à marché. Mais le coup d'épée aurait pu être dans l'eau.
C'est bien si tu as une propriété et que tes paysans te versent une redevance. Alors, tu peux consacrer tout tes loisirs à un hobby littéraire. Mais quand tu rentres à la maison après un déchargement de wagons ou après un travail de dix heures dans un bureau, il est très difficile de retourner au livre sur lequel tu as commencé à travailler. Cependant, nous n'oserons pas donner de conseils à un écrivain débutant.

MF - Est-ce que notre réalité ressemble au fantastique des 18-19 siècles?

HLO - Qu'est-ce que ça veut dire - « ressemble »? Le critique Chasles (critique et historien de la littérature anglaise, 1798-1873 - NdT) a désigné La Peau de chagrin de Balzac en utilisant l'expression de « fantastique de notre époque». Dostoevski considérait « La dame de pique » de Pouchkine comme un fantastique excellent. Walter Scott écrivait: « A quoi nous pouvons nous résigner, tout au plus, quand il s'agit du fantastique? C'est sa forme qui éveille chez nous des idées agréables et attrayantes ». Sir Walter parlait plus ou moins de Hoffmann.
Si on analyse tout ce fantastique, alors, ni la vieille comtesse, ni le morceau de peau qui accomplit les désirs, ni le vase d'or, n'existent dans notre réalité. Mais d'un autre point de vue, la passion du jeu, et surtout, du gain à tout prix, le désir de réaliser un rêve, le rêve d'un artefact qui répond à des demandes – cela n'est-il pas éternel? Et voilà ce qu'il advient lorsqu'on parle de la présence d'Internet alors il n'y a rien de commun. Mais si on parle d'éternel – tout est semblable dans tous les siècles...

MF - Et comment voyez-vous l'avenir dans 100 ans?

HLO - Nous tâchons bien de vivre dans le présent sans essayer de faire d'avance des pronostics pour demain. En effet, c'est un grand problème: beaucoup de gens vivent dans le passé ou dans le futur, et ont ainsi plein de problèmes superflus dans le présent. C'est pourquoi dispensez-nous de cela, quand l'avenir viendra, alors, on verra.

« La création collective est une chose habituelle »

MF - Utilisez-vous un ensemble de règles en travaillant en tandem?

HLO - Nous avons trois règles:
- Ecrire ce que nous voulons et comme nous le voulons.
- Ne pas avoir honte de ce que nous avons écris.
- Ne jamais signer un contrat si un livre n'est pas fini.

MF - Quelles qualités doivent posséder les coauteurs?

HLO - La douceur et la rudesse – toute chose à son temps. La compréhension que le but est plus important que les ambitions, le sens des particularités d'un texte de l'autre, le savoir-faire de nourrir le feu, l'assiduité même si ça semble banal, et du talent, bien sur.

MF - Pour pouvoir vous voir il vous suffit de monter ou descendre l'escalier. Comment cela s'est passé?

HLO - Il y a huit ans, nous habitions dans des quartiers différents de la ville et nous avons décidé de changer d'appartement pour vivre dans le même bâtiment. Voilà comment ça s'est passé. Pour que le rêve se réalise, il faut beaucoup y travailler, c'est bien connu.

MF - Comment peut-on caractériser vos relations?

HLO – Dites-le nous vous-même: comment deux personnes doivent se traiter l'un-l'autre quand dès le plus jeune âge, elles jouent ensemble dans un théâtre, font du karaté, écrivent ensemble des livres, se partagent des honoraires sans scandales, habitent dans un (le) même bâtiment et avec tout cela, ont toujours envie de se voir?

MF - A quel point la création collective est-elle d'actualité maintenant?

HLO - Si on jette un coup d'oeil sur l'histoire de l'humanité, la création n'est pas d'actualité. Dieu a crée l'homme à son image – en ce sens que le Créateur a crée le créateur. Et une grande majorité de la population de la Terre se passe bien de la création, de cette image, tant individuellement que collectivement.
C'est une autre chose dans l'art: la création collective est une chose habituelle. Le théâtre: troupe, metteur en scène, dramaturge, dessinateur... L'orchestre symphonique ou, au moins, le quatuor d'instruments à cordes. Le cinéma: beaucoup de gens prennent part dans la création d'un film. Dans la littérature, à vrai dire, c'est plus complexe: l'individualisme est plus fort mais il y a aussi pas mal de duos, par exemple Ilf et Petrov, les frères Strougatski...
Il nous semble que le nombre de personnes qui travaillent à une oeuvre n'est pas le plus important. C'est le résultat qui l'est.

MF - Allez-vous publier des livres sous votre vrai nom?

HLO - Mais, comme qui dirait, nous nous ne cachons pas non plus, maintenant. Le nombre de lecteurs qui savent qui sont les Oldie dépassent de beaucoup celui de ceux qui ne nous connaissent pas. Ça fait déjà depuis longtemps que sur le dos des couvertures de nos livres se trouve la photo de Gromov et de Ladyjenski avec une petite information. On regarde et on comprend tout de suite – on les connaît. De plus, des annotations contiennent souvent les vrais noms.
Mais enlever complètement le nom de plume – ça ne sert à rien. Nous nous sommes tellement habitués à lui qu'il est devenu notre deuxième peau; et le lecteur lui-même s'y est tout autant habitué que nous. Henry Lion Oldie n'est pas la simple somme de deux personnes: Gromov et Ladyjenski, c'est aussi une troisième qualité particulière et il serait injuste de la perdre.
D'ailleurs, nous avons publié des livres écris en solo, sous nos vrais noms: un recueil de récits et de nouvelles de Gromov, Pout prokliatykh (La voie des maudits) et un recueil poétique de Ladyjenski, Most nad okeanom (Le pont au-dessus de l'Océan). Et actuellement aussi, nous pensons déjà à commencer la création d'une série particulière de nos livres où, au lieu du pseudonyme seront placés nos noms réels. Pourquoi pas? La « campagne des Cents Fleurs »: il y aura des séries avec les Oldie, il y aura d'autres séries où apparaîtrons Gromov et Ladyjenski.
Le principal est que les livres puissent trouver leurs lecteurs. Le reste n'est pas important.

MF - Une dernière question. Comment pouvez-vous vous caractériser? Etes-vous acteurs, spectateurs, metteurs en scène?..

HLO - Nous somme le Théâtre. Qui commence par le vestiaire (proverbe pour les spectateurs en Russie -  NdT).


Traduction: Viktoriya et Patrice Lajoye

Écrire à quatre mains

Elian Krawiek : Pour commencer, vous savez qu’en russe comme en français il y a une différence entre les pronoms personnels « tu » (singulier) et « vous » (pluriel). Comment dois-je m’adresser à vous : comme à une seule personne ou comme à deux co-auteurs ?

Henry Lion Oldie : Comme à un seul auteur H.L. Oldie.

 

EK : Que signifient ce nom « Henry Lion Oldie ». Recèle-t-il une énigme, un code secret, comme la Cène dans Da Vinci Code ?

HLO : Quand nous avons eu la perspective d’une première publication sérieuse, nous nous sommes posé la question : comment faire pour que les lecteurs se rappellent l’auteur ? King, ce n’est pas mal, c’est court et ça sonne bien. Les frères Strougatski aussi, parce que ce sont des frères. Ou les époux Diatchenko, ou encore les Abramov, père et fils. Nous ne sommes ni frères, ni mari et femme, ni père et fils… Aussi avons-nous décidé d’opter pour un pseudonyme court. Nous avons fait un anagramme de nos prénoms : OL plus DI, ça donne Oldie. Mais l’éditeur n’a pas été satisfait : il manque les initiales d’un prénom : sinon ça ne donne pas un nom d’écrivain, mais un nom de chien ! Nous étions publiés dans un recueil où figuraient Kuttner et Howard, et sans les initiales des prénoms ça donnait l’impression d’être sans cravate. Nous avons pris les premières lettres de nos noms – Gromov et Ladyjenski – et voilà G-L. Mais l’éditeur a exigé de fournir des prénoms et un nom qui soient « normaux » ; nous avons donc constitué ce Henry Lion. Si nous avions su !... Oldie, tout le monde s’en souvient, la mystification littéraire a fonctionné à plein régime, les cancans ont commencé : qui est-ce ? d’où sort-il ? si c’est un étranger, pourquoi cite-t-il Nicolas Goumilev ? Le rusé Anglais sir Henry gardait le silence, le peuple était en effervescence, les livres s’écrivaient et se lisaient. Petits à petit les ponts ont brûlé d’eux-mêmes, les éditeurs et les lecteurs se sont habitués, sachant qui étaient Dimitri Gromov et Oleg Ladyjenski, mais on nous appelait tout simplement : Oldie.

 

EK : Le fait que vous écriviez à deux me fascine. Comment faites-vous ? L’un commence et l’autre continue, ou vous inventez une histoire en buvant une bière ? Ou est-ce un secret ?

HLO : Tout d’abord naît une idée. Pas chez tous les deux en même temps, naturellement. Pendant un certain temps cette idée mûrit, et quand elle parvient à un stade où on peut la formuler intelligiblement, celui des deux qui l’a eue va voir l’autre avec une bouteille de vin (deux bouteilles de bière, de gin-tonic, de coca-cola, d’eau minérale – mais en aucun cas de vodka ou de cognac !) et l’expose. Une longue conversation débute alors. L’idée est développée, les variantes secondaires sont éliminées, on change ceci ou cela, un début de sujet émerge. Nous débattons beaucoup, mais, finalement, nous trouvons assez vite un terrain d’entente. L’un et l’autre en alternance nous jouons au fournisseur d’idées et au détracteur, assez spontanément je dois dire.

Cette discussion peut durer de une semaine (c’est un minimum, et ça arrive rarement) à six mois (c’est un maximum, et c’est plus fréquent). Puis quand la conception morale, philosophique et fantastique est complètement formée, quand le sujet est plus ou moins clair, quand on a défini les personnages principaux et les personnages secondaires, commence la répartition. C’est-à-dire que nous nous partageons le travail d’écriture. D’une manière assez simple : « Moi, je veux écrire tel chapitre (ou partie, ou fragment) » ; « Et moi, tel autre. » Sur la base du volontariat. On n’arrache jamais un morceau à l’autre et on ne refuse jamais d’écrire quelque chose. Jamais.

Si le récit est mené du point de vue de plusieurs personnages, chacun en choisit un (ou deux) et écrit au nom de ces personnages. A ce moment-là, quelques traits caractéristiques du langage de l’auteur et de sa manière de pensée sont transmis au personnage. Or comme nous sommes assez dissemblables, nous obtenons des personnages assez différents. Ce qui ne peut avoir que du bon. C’est par exemple ce qui s’est passé pour Le crépuscule du monde : Dimitri écrivait Solly, Oleg écrivait Sigurd.

Quand nous achevons un fragment, nous procédons à un échange (nous habitons le même immeuble, la même cage d’escalier, nos appartements sont l’un au-dessus de l’autre et nos ordinateurs en réseau). Chacun lit ce qu’a écrit l’autre. Nous apportons des corrections (style, fautes de frappe, gaffes diverses), nous confrontons les versions, nous reprenons chacun un morceau et nous continuons.

Lorsque nous avons terminé un grand fragment (une partie, un livre du roman), nous faisons une pause de trois jours avant de poursuivre la rédaction, nous ouvrons le texte à l’écran, nous relisons, essayant de corriger ce qui nous aurait échappé précédemment. Parallèlement nous discutons de manière plus approfondie du morceau suivant. Et nous nous y remettons.

Ces procédures se répètent régulièrement jusqu’au bout. Habituellement nous travaillons cinq jours par semaine, exceptionnellement six. Le dimanche est toujours un jour de repos. Quand le roman est fini, nous y apportons d’ultimes corrections, nous tirons un « semi-brouillon » et nous relisons le tout. Nous coupons les phrases ou les paragraphes en trop, nous traquons les fautes de frappe et les erreurs. Puis nous tirons « au propre ». Que nous relisons. Un peu plus vite, parce que nous commençons à en avoir assez de relire tout le temps la même chose, même si c’est notre auteur préféré ! Nous éradiquons les dernières coquilles, et le texte peut être présenté à l’éditeur. C’est comme ça que nous travaillons.

Quand nous sommes sur l’écriture d’un roman, nous avons en tête des idées à demi-formulées pour d’autres ouvrages, mais toutes ne sont pas concrétisées, quoiqu’il en reste toujours quelque chose au bout du compte.

 

EK : Vous arrive-t-il e vous disputer à propos d’un texte ou d’une idée ?

HLO : Nous ne nous ressemblons absolument pas : nous avons des goûts différents presque en tout : nourriture, musique, vêtements, films, etc. Pourtant pour ce qui est des livres nos inclinations vont dans le même sens. Nous avons aussi des manières de penser différentes. L’important est de ne pas commencer à vouloir défendre son idée au lieu d’essayer de comprendre le point de vue de l’autre ; il faut rechercher quelque chose d’intéressant au point d’intersection. Pour obtenir un effet stéréo. Si nous étions trop semblables, ça n’aurait aucun sens d’écrire en duo. Toutefois les dissensions et les prises de position extrêmes sont contre-productives. Ici, il faut recourir à un exemple tiré de l’art militaire, qui nous passionne depuis plus de vingt ans. Si on travaille avec trop de rudesse, on devient invalide au bout de deux ans, bras et jambes cassés, tête en miettes, os en bouillie, etc. Plus on avance en âge, plus on apprécie la douceur. Mais la douceur peut être plus destructive que la pire des cruautés. Le tsunami était une « vague molle ». Qui a tout emporté. Un glissement de terrain se passe en douceur, ça coule et sape les fondements. Tsunami et glissement de terrain peuvent se produire de deux côtés : ils vont se mélanger et non pas s’annuler. Chez nous, c’est une douce contradiction qui amène à la synthèse.

Les premiers six mois de collaboration nous nous sommes frottés l’un à l’autre, nous avons pris nos marques, nous avons appris à ne pas appuyer là où ça fait mal, à deviner quelle phrase, quel épisode, quelle tendance plaisent à l’autre, et à trier les détails qu’on peut sacrifier facilement ou accepter de modifier. Au début, nous discutions beaucoup, mais c’était productif. C’étaient les cas où, d’une discussion, ne sortait pas forcément la vérité, mais un nouveau récit. Aujourd’hui nous discutons encore beaucoup, mais avec moins d’acharnement. Nous nous pilotons l’un l’autre sans nous consulter. La nécessité ne s’en fait plus sentir. Chacun sait ce qu’on peut ou ne peut pas faire.

 

EK : Finalement, qui est le chef ?

HLO : Oldie. Lui et seulement lui. Parce qu’il n’est pas simplement la somme d’Oleg + Dimitri, c’est une troisième personne, une nouvelle catégorie. Comme dans une réaction chimique où la fusion de deux éléments en produit un troisième.

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Dmitri Gromov, Pierre Gévart et Oleg Ladyjenski en 2006

EK : Cette année vous avez reçu le prix du meilleur auteur fantastique Europe 2006 à l’Eurocon 2006 de Kiev. Permettez-moi de vous féliciter ! Qu’avez-vous ressenti à l’énoncé de votre nom ? Et qu’en est-il de la suite ?

HLO : La reconnaissance fait plaisir, c’est indéniable. C’est très agréable. Mais ça dure un jour ou deux, et puis la création se rappelle à votre bon souvenir. Un roman est en cours, il y a la préparation du festival « Pont d’étoiles » à Kharkov, et de l’Encyclopédie des auteurs de SF Ukrainiens : c’est ça le travail quotidien, et on n’a plus le temps de se demander si on est le meilleur auteur d’Europe ou d’ailleurs…

Nous avons à notre actif pas mal de prix internationaux. Il y en a d’exotiques, comme la médaille d’honneur du temple Shao-lin (Chine), le prix Mosche Dayan (Israël), la Lame des Terres du Nord (Allemagne, prix des lecteurs), prix du Ministère est Affaires Intérieures… Mais l’écrivain n’est pas dans les prix, il est dans ses livres.

C’est pourquoi nous aimerions croire que nos livres vont paraître traduits en diverses langues européennes, et pas seulement en Lituanie ou en Pologne où ils sont déjà bien connus. Voilà les conséquences dont nous rêvons.

 

EK : Lors de notre rencontre à Kharkiv, je vous ai dit que les lecteurs français ne connaissent pratiquement pas les auteurs russes de SF, et vous m’avez répondu : « Ne vous inquiétez pas, chez nous c’est pareil : les lecteurs russes et ukrainiens ne connaissent pas les auteurs français ». Et vous, pourriez-vous me citer des auteurs français de SF ou de Fantasy ?

HLO : Jules Verne, Francis Carsac, Gérard Klein, J.H. Rosny Aîné, Robert Merle, Pierre Boulle, Michel Houellebecq, Bernard Werber.

 

EK : Au cours de votre vie, il y a eu deux événements marquants : la chute de l’URSS en 1991 et la Révolution orange en 2004. Pourriez-vous dire à nos lecteurs ce qu’ont représenté ces événements pour vous ? Quelle incidence ont-ils eue sur votre activité d’écrivain et sur la SF russe (et ukrainienne) en général ?

HLO : Dans notre vie, il n’y a pas eu que ces deux événements, il y en a eu des tas ! Nous avons vécu une époque de changements, où quasiment tous les jours les fondements de la société changeaient, qu’ils ressortissent du domaine de la politique, de l’économie, du social ou de la création ; où beaucoup de créateurs se précipitaient pour se mettre au service du nouveau pouvoir et répondre aux besoins pressants de la société. Des changements sur un rythme accéléré et une vie effervescente sont sans doute utiles pour un écrivain qui est toujours dans le bain, comme on dit, sur la crête de la vague. Le calme d’un marais stagnant n’est guère stimulant... Résultat de tout cela : nous avons des contacts avec l’étranger, interdits il n’y a encore pas si longtemps, des impressions nouvelles, la possibilité d’aborder une littérature qui était inaccessible, le simple fait d’être édité, ce qui relevait de la gageure du temps de l’URSS. D’un autre côté, les passions politiques et les bouleversements sociaux finissent pas émousser les sensations, et l’on n’a pas très envie de voir la littérature devenir le faire-valoir de certains politiciens ou de magnats de la finance.

 

EK : Vous vous rangez dans la catégorie des écrivains russes ou ukrainiens ?

HLO : Plutôt ukrainiens, bien que nous écrivions en russe.

 

EK : Et enfin : pourquoi trouvez-vous si important de participer à la convention de SF qui se tiendra à Bellaing, en France, en août 2006 ?

HLO : Nous aspirons à mieux connaître la SF française, même si ce n’est pas en détail, rencontrer des collègues écrivains, des éditeurs, des lecteurs. Savoir quels sont les thèmes qui intéressent les auteurs et les lecteurs. Voir dans quelle direction se développe la littérature fantastique et de SF en France. Et comparer avec ce que nous observons en ce moment chez nous, en Ukraine et en Russie. Pour tout cela, il vaut mieux avoir des renseignements de « première main », car malheureusement il se traduit très peu d’ouvrages français en Russie et en Ukraine.

D’un autre côté, nous aimerions raconter à nos collègues français comment ça se passe chez nous, quelles sont les principales tendances et quels sont les auteurs qui offrent le plus d’intérêt. Pour ce qu’on en sait, ils sont très mal connus chez vous…

Confronter nos expériences en matière d’organisation de festivals et de conventions. En plus d’écrire des livres, nous sommes membres du comité d’organisation de Festival international de SF de Kharkiv : le « Pont d’étoiles »

Peut-être des idées naîtront-elles, des projets éditoriaux communs d’auteurs français en Russie et en Ukraine, d’auteurs russes et ukrainiens en France. Nous souhaitons tout simplement avoir des échanges sur ce qui se fait actuellement dans le domaine qui nous intéresse. Et puis ça vaut toujours le coup de voyager de par le monde, d’aller où on n’est encore jamais allé, de rencontrer des collègues d’un autre pays. Cela fait longtemps que nous désirons venir en France, surtout dans une Convention de SF !

Bellaing-2006 est un endroit idéal et nous remercions les organisateurs pour nous avoir invités à y participer.


Propos recueillis par Elian Krawiek et traduits par André Cabaret